De la texture vidéo : entrevue avec Élaine Frigon

Résumé | Extrait

De la texture vidéo La contre-parole vidéo comme riposte poétique à la pensée massive du meuble télévision à travers les travaux vidéophotographiques d’Élaine Frigon Février 2014, sur le grand mur de Praxis, Centre d’Art Autogéré situé à Sainte-Thérèse – on ne le dira jamais assez, un lieu de grande qualité d’écoute – sont projetées les bandes vidéo d’Élaine Frigon. Filiation, datant de 2005, est entourée d’autres travaux vidéos : Watcher la game, Rotokation, Reproduction, Rigodon, ainsi que de ses récents travaux photographiques chocs, Nature humaine, des vêtements habillant des arbres.

La bande Filiation crée l’émoi parmi le public de Praxis, ravi d’assister à une partie de riposte typique vidéo : la mise en abyme, par le biais du triturage (oui, oui, rageur, ludique et jouissif) de la texture vidéo, des vastes mises en scène médiatico-politiques de la war saga Bush (père ou fils ?), en même temps qu’est racontée dans un style frigonien (décapant, hilarant et très subtil dans ses solidarités avec le corps populaire des regardants su’l sofa, en particulier les femmes), ce qui nous lie singulièrement au générique humain. Devant ce travail, on perçoit toute l’essence du mot résistance culturelle, riposte formaliste à ce média de masse qu’est la télévision, et particulièrement lorsqu’elle était cantonnée à être diffusée par le meuble lui-même, avant de subir l’implosion par le Web. À la faveur du travail de la vidéaste Élaine Frigon, la tragédie lyrique de l’ange Dolly, née sans défenses, moutonne clonée, la première de son espèce, puis morte soudainement après un vieillissement prématuré, se déploie sous nos rires d’angoissé(e)s par la technologie folle. Dans Watcher la game, en bas du flot d’images, c’est une bouche, sans doute celle d’Élaine, qui mange des chips au même rythme que le meuble demande qu’on le nourrisse d’actualité déferlante.

L’artiste Élaine Frigon sait manier la palette technologique pour faire jaillir de la profondeur vidéo, du multi-sens qui vient éclater en surface, et mettre à nu en les désarçonnant, les certitudes rodéo-télévisuelles. Par des loops qui hissent les bêlements de Dolly traités techno au rythme synthétique du ridicule creux des discours guerriers proférés par le lobby politico-militaire et son bataclan médiatico-scientifique, ce travail électronique remplit bien son mandat « d’appropriation des médias », et répond sans ambiguïté à une question clé du médium vidéo : « Comment problématiser la notion de surface en vue de repenser celle de profondeur ? » La maîtrise du propos d’Élaine va jusqu’à se déployer au-delà de la parodie, transformant soudain la surface vidéo en texture de paroles d’amour à la mère, avec toute la pudeur exprimée en douceur poétique, transformant les marques de l’âge en ballet du temps, mémoire-surface qu’elle dilate émotionnellement, toute en intimité audiovisuelle. Moment de grâce féminin offert avec féminisme. Je suis parmi les regardantes, ce soir-là, sincèrement heureuse d’assister à de l’art vidéo, qualité maximale diffusée en son grain via le « lapped up » d’Élaine et le projo de la galerie.

Auteurs : Vincent Arseneau et Pascale Malaterre

Revue : ETC MEDIA, Numéro 102, juin-octobre 2014, p. 74-79

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